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10 janvier 2012 2 10 /01 /janvier /2012 10:28

Le temps est maussade à l’image de mon attitude, de ma vie, de mes actions. Mes mains sont gelées depuis des années, le sentiment que le sang ne circule plus dans mes veines, qu’il a glacé un jour d’hiver trop éloigné. La société en déperdition m’asphyxie. J’ai vingt ans, pas d’ami, plus de famille, plus d’attrait pour quoi que ce soit. Aussi loin que je puisse me souvenir, la morosité règne sur mon monde et c’est aujourd’hui que je me flingue.


Je ne suis que déprime, agacement, hurlements. Personne ne me supporte au boulot et pour cause, je ne supporte pas un seul de mes collègues. Quatre ans maintenant que je mets en boîte. Les cartons arrivent sur la chaîne devant moi et je dois les fermer, mouvement répétitif, lobotomisant le cerveau. Gérard ne parle que de sa moto, dans laquelle il investi toute sa paye. Roger ne parle que du jour où il va gagner au loto et disparaître sans laisser de trace. Géraldine pleure chaque jour, en arborant de nouveaux cocards sur le visage. François se délecte du pauvre petit pouvoir qui lui est attribué, chef de machine, chef de quatre personnes et le sentiment de contrôler la France … Aucune perspective ne se dessine pour moi et cette immensité mystérieuse au-dessus de nos têtes ne m’apporte que questions non solvables. C’est assez, ce soir, je me tire une balle.


Une réunion sans intérêt de plus, ils vont nous faire miroiter que nous sommes les cellules de cette entreprise, que nous sommes essentiels, que nous seront récompensés prochainement, je ne pourrai y assister, je m’évade vers mon destin. J’ai lu suffisamment de livres déjantés sur l’au-delà pour me permettre un semblant d’espoir quant à la suite.


Je n’ai plus ouvert ce meuble depuis que j’y ai rangé l’arme, un gros fusil de chasse qui appartenait à mon Grand-père. Il ne me l’a pas vraiment légué, je l’ai ramassé à ses pieds lorsqu’il s’est fait sauter le caisson il y a deux ans. Les canons sont froids et il me semble encore déceler l’odeur de poudre, celle-là même qui a fait gicler la cervelle de Papy. J’en éprouve un certain réconfort, mourir de la même façon que la seule et unique personne au monde ayant eu de l’attention pour moi. Je ne devrai sans doute pas me trouver loin de lui après ce soir.


La forêt est sombre et dense, quelques gouttes traversent le plafond de feuilles et émettent un bruit sourd en s’écrasant sur le tissu épais de ma veste. Nous sommes comme ces gouttes d’eau sur mes épaules, insignifiantes, dérisoires et éphémères. Les cartouches s’entrechoquent dans ma poche, une mélodie lugubre accompagnant ma progression vers la clairière morbide, devrais-je dire vers la liberté ? C’est ainsi que je vois mon action, pourquoi encore sentir le poids du monde sur mes épaules ? Puis-je obtenir un minimum de répit avant la fin ? Papy m’offre alors un sourire dans mon souvenir, merci, c’est réconfortant, il approuve ma décision.


En pénétrant dans la clairière, je sors la fiole de whisky de l’autre poche et en avale une grosse rasade. C’est mon habitude en ce lieu, comme si l’usine ne me fournissait pas suffisamment de routine, il a fallu que je rajoute des gestes répétitifs à ma pauvre vie. Combien de soirée ai-je passé en ce lieu, seul, à regarder le ciel par cette trouée étrange dans les arbres, trouée qui semble ne laisser passer que les démons de l’au-delà. Je rumine, je pleure parfois les êtres chers, en me saoulant à en perdre la tête. Mais ce soir, je veux garder les idées claires, être pleinement conscient de mon geste, ces gorgées ne servent qu’à maintenir ma détermination.


Ma souche trône en lisière de clairière, elle est pourrie, bouffée par les vers et la moisissure. C’est pour cette raison que je l’aime, elle représente la finalité de chacun d’entre nous, tout chef que tu es François, tu termineras bouffé par les vers et la moisissure. Je m’assois sur mon tronc estropié et sens immédiatement l’humidité m’atteindre les fesses et les cuisses, qu’importe. Clic -clic, le canon est ouvert, j’y introduis deux balles, les contemple longuement et referme le fusil dans un long soupir. Voici donc le seul mot d’adieu que je laisserai, un fusil à double canon, une cartouche vide et une pleine.


A la réflexion, il y a bien une chose que j’apprécie dans la vie, me masturber. Un petit moment de plaisir anodin et éphémère. Je vais m’offrir ce dernier cadeau avant le grand saut. Je penserai à l’unique fois où j’ai baisé avec cette prostituée alcoolique de la rue du Tulle. Bizarrement, j’en garde un bon souvenir, son corps chaud, ses mots rassurants, la délicatesse dont elle a fait preuve, ses compliments sur mon corps. Elle n’a visiblement pas l’habitude de personnes si jeunes et timides. J’ai joui en quelques secondes, elle m’a proposé de recommencer si je pouvais bander dans les minutes à suivre, mais j’ai eu trop honte et ai filé pour disparaître dans la nuit.


Ma jouissance, ce soir, est explosive. Le temps semble s’arrêter et la vue de mon foutre en l’air annihile un instant ma conviction. Mes spermatozoïdes tout frétillants, décidés, qui volent dans ce coin de forêt me font sourire. Je suis soudain pris d’une puissante crise de rire, les nerfs qui lâchent, les abdominaux qui se crispent, je jette la tête en arrière et perd l’équilibre. Je dégringole le fossé derrière la souche, fusil au bras et pantalon aux chevilles. La dernière roulade arrière m’envoie dans le fond du trou.


 Le double canon est en appui sur ma gorge et la crosse est enfoncée dans un amas de branches, de feuilles mortes et de terre humide. Mon corps est encastré dans un buisson épineux, mes jambes et mes bras sont coincés dans un dédale de branches malveillantes. Le métal est douloureux sur ma glotte. Je tente un mouvement mais celui-ci actionne une épaisse tige en appuie sur la détente. Si je poursuis ma tentative, le fusil va rugir.


Situation bien étrange,  mon destin est maintenant scellé. Je n’ai d’autre choix que de mourir maintenant. Cela me contrarie de ne plus être maître de mon sort. Je pourrais attendre que quelqu’un vienne... Puis je sens mon pantalon sur le bas de mes jambes, je sens les lacérations sur mes cuisses, je sens ma verge pendante, frôlant les épines, je sens de nouveau ce terrible désespoir, celui qui m’a mené en ce lieu sordide. Je ne suis pas présentable, le moment est revenu, celui  de me foutre en l’air.


Je tente en vain d’apercevoir le ciel et amorce le dernier mouvement.


BANG !!

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