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Errance Solitaire

« Brutalement arraché de mon sommeil agité et pénible, je reste les sens en alerte et les yeux mi-clos scrutant. Cette vive lumière, l’ai-je rêvée ? Je rappel mon souvenir et doucement les évènements de mon rêve me reviennent en mémoire. Un rêve d’errance dans les bas-fonds parisiens, des tunnels déserts, des rats qui rampaient, des souffles sinistres parfois, des clochards et toxicos qui se déplaçaient avec lenteur, nonchalants et menaçants. L’un d’eux s’approchait de moi, ses lèvres s’activaient mais aucun son ne s’en échappait. Il brandissait sa seringue et s’apprêtait à me planter lorsqu’un métro jaillit du gouffre sombre et traversa avec fracas le hall lugubre qui m’entourait.

Je bénis ce métro et ses feux qui ont levé les paupières de mes yeux endormis. Tout est calme maintenant, les murs se dessinent cloisonnant cette chambre familière, je tourne le visage vers la lucarne. La douce lumière de la lune pénètre et me caresse le corps. Il est luisant, je suis trempé de sueur et prends conscience que j’halète, le souffle coupé. Une angoisse violente me tiraille l’estomac. Je m’assieds, compresse mon ventre, écoute et regarde. Aucun mouvement, la pièce est ordonnée, je reste un moment immobile et retrouve mon souffle peu à peu. Je me détends et me rallonge.

J’attends le sommeil lorsqu’une ombre traverse furtivement la pièce. Je sursaute, j’ai du la rêver. Elle traverse de nouveau et me glace le sang. Je bondis hors du lit, dévale les marches, m’empare de la hache dans le garage et sors en hurlant. Ça me rassure de hurler et peut-être l’ombre fuira-t-elle. La pelouse est couverte d’humidité et les brins d’herbe dansent, chahutant dans les rayons fades de la lune.

Le jardin est désespérément vide et silencieux. Les branches ondulent en réponse à la légère brise et filtrent la lumière, dessinant d’inquiétantes formes mouvantes sur le sol inerte. Je plisse les yeux, me concentre, tente de percer la nuit et pose la hache contre le mur. Les personnages de mon rêve prennent vie soudainement, je retrouve les mêmes visages, les mêmes pas, je me fige, incapable du moindre son. J’ai le sentiment qu’ils sont autour, qu’ils me guettent. Je me gifle une fois, puis deux. Je dois me ressaisir, mon imagination se joue de moi. La présence encore envahissante de mon rêve glauque, souterrain, sombre, à mille lieus de la lueur du jour, de l’air respirable et pur de la campagne que j’habite, s’insinue dans mes veines.

Je reste immobile de longues minutes, des minutes qui semblent des heures et attends le jour qui peine à terrasser la nuit. Les ombres me tournent autour, semblables à des ectoplasmes fébriles et informes. De légers sifflements me parviennent, des souffles me chatouillent les oreilles. Je tourne la tête de droite et de gauche, vif et sur le qui-vive. J’agite les bras dans de grands mouvements vains. Les inquiétants ne veulent pas fuir.

Un bruit mécanique me sort de ma torpeur, un bruit lourd accompagné de crissements de pneus. Je tourne la tête dans sa direction, deux faisceaux lumineux s’approchent avec furie. Ils me frôlent, m’écorchent dans un fracas étourdissant. Je vacille et perds connaissance.

A mon réveil, le corps endolori, je ne contrôle plus ma vue. Elle me trompe, m’effraie, me joue des tours. Des êtres tout à fait extraordinaires peuplent mon jardin. Des êtres minuscules qui envahissent mon domaine et me couvrent le corps. Ils me caressent, pansent mes plaies, me susurrent des mots tendres qui me réchauffent le cœur. Fasciné, j’en oublie mes douleurs et mon visage s’éclaire. Un monticule étrange contraste dans la pénombre. Il est agité, sa surface mouvante reflète les premières teintes boréales du ciel, c’est magnifique, féérique. J’imagine des ovnis, des êtres paranormaux, des extra-terrestres. Je suis comblé, depuis des années que j’observe le ciel, depuis des années que je me prépare à les recevoir, ils sont là et c’est à moi qu’ils sont venus. C’est sur moi qu’ils se déplacent et avec moi qu’ils tentent de communiquer.

Je me lève à tâtons, je ne veux pas les brusquer ou les effrayer. Je veux qu’ils se sentent en sécurité, que l’on établisse une forme de communication. Ils s’organisent en une ligne à terre, une longue ligne qui serpente hors de mon terrain. Je la suis, une force obscure et bienveillante qui me conduit, me pousse doucement à observer, à contempler, et comprendre leur entreprise.

Je marche longtemps les yeux rivés sur la chaîne vivante. Le sentiment que j’ai enfin quitté le monde d’une réalité ennuyeuse provoque un sourire radieux sur mon visage terne éclairé d’une lueur trompeuse. Je repense à ma vie d’hier. Une vie que la routine accablait, que l’ennui écrasait, me figeait, me gelait les jambes. Les rêves d’enfant qui prennent vie. Je vais pouvoir affirmer que mes élucubrations avaient un sens, que j’ai une sensibilité particulière qui m’a permis de savoir avant les autres ce que la terre recevrait un jour en cadeau du ciel. J’éprouve soudain une liberté de mouvement jamais vécue jusqu’à présent, une aisance dans mon âme qui me donne une assurance et une force démesurée. L’atmosphère est douce, chacune de ses particules épousent ma peau, la fait frémir de plaisir. Mon pas est léger et le sol malléable et accueillant.

Mon odorat se charge d’iode, l’air devient humide et je hume de bonheur. Ces êtres me communiquent des vagues d’insouciance que je déguste dans un spectacle matinal grandissant. Quand mes pieds foulent enfin le sable, un rayon surgit de l’océan. Un rayon vif qui s’arrondit, qui réchauffe. Un nouveau jour qui vient peindre de ses couleurs pastelles la gigantesque coupe inversée qui nous abrite. Les êtres m’ont emmené assister à la naissance d’un nouveau jour. Leur geste est chargé de sens. Je vais être différent maintenant, la vie va me sourire, et j’en ferais de même en son honneur.

Je laisse le temps me glisser dessus, je le regarde changer de visage, je le regarde, j’aime le voir passer. La colonie semble s’évanouir ici, elle se disperse, disparaît dans les millions de grains de sables dorés. Leur message s’achève ici, j’ai compris. J’avale de grosses bouffées d’air et prends le chemin inverse, les pensées douces et optimistes. Des centaines d’idées me fusent dans la tête, je suis si heureux d’avoir finalement établi un contact improbable.

Lorsque je pénètre mon jardin, il baigne dans le soleil. Une légère brume s’évapore du sol humide et je suis surpris de la présence d’une fourmilière géante. Ses habitants hyperactifs sillonnent mon territoire en de longues lignes sombres. Des draps volent, irréguliers, chahuté par une brise fraîche et légère. La haie délimitant mon terrain est détruite. Un véhicule encore fumant est encastré dans mon chêne. De la sève coule lentement, un sang incolore et gluant. Il se mélange à de petites rivières rouges qui s’échappent de la voiture. Une flaque de souffrance se forme entre les racines meurtries de mon arbre. Je me fige, je sens mes réflexions m’échapper et se diluer dans la flaque morbide au pied de l’arbre. Des humains souffrant ? Qu’importe. Mon jardin dévasté ? Obnubilé par mon errance nocturne, par mes compagnons, je ne parviens à me concentrer sur une réalité, quelle réalité ?

Je suis arraché de ma torpeur par une sonnerie stridente qui retenti. Je me dirige vers ma demeure, le pas nonchalant, incertain. Je rentre et décroche le combiné :

-Allo, dis-je d’une voix morte

-Tael !? Il est dix heures, tu ne m’as pas prévenu de ton absence, je m’inquiète, et nous sommes débordés, que fais-tu ? Viens vite !

-Qui êtes-vous ?

-Enfin Tael, c’est René, le magasin … Tu te sens bien ?

-J’ai gouté à un monde nouveau cette nuit, un monde qui me convient. Je ne sais pas qui vous êtes, je ne veux pas le savoir, n’appelez plus, laissez moi.

Je raccroche et arrache la prise du mur, jette l’appareil qui se  fracasse contre la porte. Tout espoir vient de s’envoler. La morosité me noircie les entrailles, et mes yeux se chargent d’humidité, une humidité triste qui semble m’inonder le corps entier.

J’abandonne mon lieu. Je marche sans but des jours et des nuits. Je traverse des routes, des champs, des villages puis un matin, une ville gigantesque se dresse devant moi. Je n’y prête pas attention et continue d’aligner mes pieds, de ne regarder que le sol accueillant chacun de mes pas. Des escaliers puant la pisse s’enfoncent dans la terre. Je les empreinte et me retrouve dans un méandre de souterrains, de longs couloirs sillonnés de rails, des couloirs désaffectés, peuplés de rats, de sons mystérieux, d’êtres difformes que la société a rejeté.

Je m’assieds, les yeux hagards, les jambes dans le vide, les bras pendants et la tête lourde. Je vais attendre, attendre un éventuel vacarme qui m’offrira un nouveau monde. »

-          Eh René ! T’as lu le télégramme du 14 Juillet, il y a une photo du jardin de Tael, écoute ça :

« Un accident de la route a permis une découverte exceptionnelle dans le village de Siraouen en Bretagne. Une fourmilière géante d’espèce inconnue a été répertoriée. Elle s’est dressée dans un jardin dont le propriétaire est porté disparu depuis quelques jours. Une double enquête est en cours pour comprendre le phénomène et expliquer la disparition subite d’un homme apparemment sans histoire (…) »

 - Un homme sans histoire, certes, mais qui m’a toujours paru entre chien et loup…

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