Un jour « avec » s’offrait à moi. Une matinée radieuse s’annonçait. Les toiles d’araignées perlaient de rosé, le soleil faisait briller chaque goutte tenue en suspens. La chaleur, doucement, évaporait cette beauté matinale. Armé de mon appareil photo, je partais, léger, en quête d’image pouvant figer cette journée dans ma mémoire.
Contre toute attente, le terrain que j’avais déjà vu des centaines de fois me pinçait le cœur aujourd’hui. Je pouvais y voir mes enfants jouer, ma maison s’y dresser, je pouvais entendre les verres clinquer, les rires de ma famille et des amis et sentir le fumet des grillades d’été. Cet emplacement venait de devenir mien. Il m’appelait, me faisait signe, me signifiait que j’étais prêt, qu’il n’attendait que moi et qu’il était temps.
Je composais le numéro figurant sur la pancarte accrochée au portail. Très motivé par mon appel, l’agent immobilier se présentait à peine sept minutes plus tard. Nous bavardions un moment, visitions les lieux et comble du comble, j’apposais ma signature au bas du formulaire. J’étais fébrile, tremblant mais conservais mon sourire. Je repassais devant, je ne m’étais pas trompé, ce lieu m’appartenais et pas uniquement sur le papier.
Je rentrais plein d’excitation, chantais la nouvelle à ma famille. Tous connaissaient l’endroit, tous avaient un penchant pour lui. On ouvrait le champagne, nous avions fait le grand pas, c’était jubilatoire !
Quelques mois plus tard se dressait notre maison, fière, bourgeoise, attirant l’œil mais pas trop. Nous étions enchantés. Mon fils s’épanouissait dans sa nouvelle chambre et prenait doucement l’accent versaillais. La vie prenait une nouvelle tournure, un autre sens.
Mais à peine sept jours plus tard, une fissure divisait le mur du séjour en deux. La nuit suivante et avant minuit, le mur s’écroulait, entrainant les trois autres et ensevelissait tout ce que nous possédions.
Qu’à cela ne tienne, nous allons reconstruire. Sept mois plus tard, une maison très simple, petite et sans prétention se trouvait sur le terrain. Chacun s’y sentait bien dès le premier jour malgré une absence totale de mobilier et d’effets personnels. Nous engloutissions notre premier diner en chantant joyeusement.
Exactement sept jours plus tard, une pluie diluvienne commençait et durait quatorze jours sans relâche ni faiblesse. Nous avions légèrement bâclés la toiture pensant profiter de l’été pour fignoler. L’eau s’infiltrait, grignotait les joints, un petit craquement précédait l’effondrement du toit. On recevait l’équivalent d’une piscine olympique sur la tête. Les quatre murs s’allongeaient immédiatement.
Ce n’est pas grave, la vie continue. On achetait quatre abris de jardin, bricolait l’électricité, assemblait le tout, nous étions de nouveau chez nous, c’était parfait, nul besoin de plus. Le puits dans le jardin suffisait amplement à nos besoins.
Re-sept jours, un glissement de terrain comme, selon les journaux, ils n’en avaient pas vu depuis 1243 avant Jésus-Christ, fît trembler notre parcelle de terre. Le sol s’ouvrait et s’affalait comme la banquise de nos jours. Nous sortions du trou béant un peu perdus, couvert de poussière et les sens en agitation. Un bref coup d’œil me rassurait, le portail était toujours en place, nous étions encore chez nous.
Quelques tentes furent rapidement installées, quatre pour être précis, avec un tipi au centre en guise de salon. Mon fils passait son temps avec une plume dans les cheveux et un arc dans le dos. Ma femme restait assise en tailleur au coin du feu et déclamait des incantations. Je ne su jamais si celles-ci étaient véridiques ou psychédéliques, toujours est-il que la terre gronda de nouveau. Cependant, elle gronda loin de chez nous sur un continent de l’autre hémisphère. Le tremblement de terre fut d’une telle violence que la terre changeait d’axe. La mer montait soudainement, et les tentes se noyaient, nous laissant tous trois accrochés au poteau électrique de la rue.
J’ai beau être persévérant, je commençais à douter de notre lien particulier avec cet endroit. Toujours agrippé à mon poteau, j’aperçu un bateau à la dérive qui venait à notre rencontre. Quelques brasses et nous étions au sec, sensation fort agréable, nous nous sommes embrassés en riant, tout compte fait, le sort ne s’acharnait pas tant que ça. Après sept minutes de réflexion, nous adoptions le navire comme notre nouvelle demeure. Mon fils se fabriquait une fausse jambe de bois et un cache-œil semblable à celui du capitaine Achab (bien que ce fameux Capitaine ne portait pas de cache-œil, mais il ne voulait rien savoir) et ne parlait plus que de baleine blanche, de sirènes, et autres êtres tous plus improbables les uns que les autres. Ma femme passait des heures en tête de mât, la main en visière sur le front, scrutant l’horizon, cherchant matière pour un acte de piraterie.
Nous ne croiserions plus jamais un bateau et ne découvririons jamais de terre ni de trésor.
Nous sommes toujours à la dérive tournant le long de l’équateur, je suppose… Aussi, si vous trouvez ce message, sachez que son contenant était ma dernière bouteille de whisky. Alors, s’il vous plaît, n’hésitez pas à vous mettre en route, les pirates que nous sommes devenus ont besoin d’une attaque pour continuer à faire face, le sourire aux lèvres, aux aléas de la vie.