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11 mai 2010 2 11 /05 /mai /2010 09:23

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Le ciel nous a régalés de son spectacle quotidien de fin de journée. Le vent est soutenu et portant. La houle nous pousse, nous accélérons régulièrement, le bateau vibre dans son ensemble et la barre est délicate et précise.

Nous échangeons les consignes pour les quarts de nuit, puis je reste seul, seul face à l’océan, seul face à la magie inquiétante d’une nuit en mer. Un sentiment étrange me circule dans les veines. Je tente de l’ignorer et de me fondre à la coque qui glisse allègrement.

Des gerbes émanent de l’étrave, j’ai la peau salée et les vêtements trempés.

Les voiles en ciseaux font rouler le canot de bâbord sur tribord me laissant apercevoir de temps à autre une vision partielle de l’horizon sombre qui coure devant moi.

Une heure s’écoule sans encombre. Les vitesses augmentent. Le vent a forcit et la mer en réponse grossit. Le ciel étoilé disparaît limitant ma vue à quelques mètres. Des grondements lointains se manifestent. Un orage lumineux se forme au loin. Nous devrions l’éviter, je l’espère. Je garde mon cap et refoule les pincées d’angoisse qui me piquent le cœur.

Lorsque les balancements de plus en plus violents me l’autorisent, je devine une lumière au loin. L’absence de pilote et l’allure arrière m’interdisent de m’éloigner de la barre. Je suis concentré. La lumière semble grossir, difficile d’évaluer une distance dans ce noir absurde et dense. Je crie et tente de réveiller Antoine : pas de réponse.

Mon cœur bat la chamade, le compas semble faire des tours sur lui-même et la lueur s’intensifie maintenant à vue d’œil.

N’ayant aucun moyen de manœuvrer depuis le poste de barre, je commence à marteler le pont et à crier, emprunt à la panique.

Une tête endormie finit par émerger de la descente. Je m’apaise un peu :

-Tu vois la lumière là-bas ?

-Non, où ça ? Pourquoi tu t’énerves, je suis dans le gaz moi, me dit Antoine.

-Regardes sous la GV. Quand le roulis et la houle le permette, il y a une lumière rouge, non verte, enfin chais pas, il y a une lumière qui ne cesse de s’approcher. Regardes bien, ça m’inquiète.

-Oui, ça y est, je la vois, c’est quoi ? me demande-t-il.

-Bah le métro lui dis-je agacé. A ton avis, un cargo surement, mais je ne parviens pas à évaluer sa distance et direction.

-Moi non plus…

Antoine pose le tangon sur le pont afin de permettre une manœuvre d’urgence. Il est en train de l’arrimer au bastingage lorsqu’une gerbe d’eau gigantesque éclate à quelques encablures de la proue : la vague d’étrave du cargo !

Mon sang se glace, mon pied pousse violemment la barre et mes mains avalent aussi vite que possible l’écoute de GV choquée en grand dans une tentative de lof désespérée. Le cargo n’est qu’à quelques mètres et nous peinons à tourner.

Lorsque les voiles se mettent à battre avec fracas, l’étrave face au vent, et le corps tout tremblant, nous regardons défiler derrière l’équivalent d’un immeuble de cinq étages sur trois cents mètres.

Comme un fantôme dans la nuit, sans bruit et sans mouvement, il continue sa route, imperturbable et disparaît dans les creux de houle devenus des gouffres.

La tension retombe et l’attention redouble, nous sommes vivants, au sec et le bateau file de nouveau de vague en vague indifférent aux angoisses humaines.

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